Normes forestières 175 ou 250 ans pour Tronçais ?
(publié dans le bulletin 53)

Initiée en 1832 par M. de Buffévent, l’évolution moderne de Tronçais
s’est développée de façon cohérente pendant un siècle et demi. L’étude de
Paul Clauss, dans ce même bulletin, nous permet de comprendre dans le
détail comment Tronçais, au départ à demi-couverte de taillis exploités à
40 ans, a fait place à la futaie actuelle par les politiques successives des
forestiers, allant toutes dans le même sens. L’exploitabilité des chênes, que
Buffévent assignait à 160 ans, a été portée à 250 ans, en moins d’un siècle
et demi.

En 2000, encadrée par cette gestion qui favorise la qualité, Tronçais
porte bien son âge actuel : 210 ans, et l’on peut espérer 250 ans avant le
milieu du 21ème siècle. Tout va-t-il donc bien dans la plus célèbre des chênaies?
Non, certes non.

En effet, à quatre années près, en 2004, paraît le Guide des sylvicultures
de la chênaie atlantique, où l’ONF assigne l’exploitabilité à 175 ans, à
peine plus que Buffévent ne prévoyait, en 1832, en partant du taillis.
Ce désaveu de la gestion forestière depuis cette époque est cinglant :
toutes ces générations de forestiers se sont-elles trompées ? La magnifique
forêt de Tronçais ne résulte-t-elle que d’erreurs accumulées ?
Cette directive forestière de 2000 fait récolter plus. Elle fait grand bruit
à Tronçais et dans l’Allier.

Le dilemme est clair : Il y a 35 ans de trop sur pied à Tronçais, d’après
le Guide : faut-il récolter plus ? Il manque 40 ans à Tronçais pour concrétiser
l’exploitabilité de 250 ans : faut-il récolter moins ?
Que fait l’ONF ? Il pratique le double langage en accompagnant les
directives du guide, en appliquant la gestion à 175 ans, tout en proclamant
son ambition d’une gestion à 250 ans.
L’amorce visible du mouvement date en réalité des années 90, l’accélération
de la récolte s’exprimant de deux façons :
– la première est peu visible au début mais c’est la plus inquiétante
– nous l’avons écrit dès 2001 – car elle modèle la forêt du futur, c’est la
conduira à une forêt « à la française », domestiquée, les layons alignés
tous les 6 mètres dans la parcelle juvénile, puis tous les 25 mètres à 100
ans.
Identifiée commercialement par son appartenance au bassin ligérien
de production du merrain français, qui tire son argument de la qualité de
Tronçais, cette dernière fera plus tard des accroissements annuels d’épaisseur
doublée, des bois de moindre qualité et de grain plus grossier. Entre
temps, la simplification des procédures et l’indépendance recherchée visà-
vis des effets du milieu permettront un téléguidage centralisé avec la
quasi-disparition du forestier des champs au profit du forestier des villes.
– la seconde, très visible et mal ressentie par l’habitué, est la récolte
annuelle presque doublée des gros bois. Tronçais est exploitée comme ressource
en capital financier pour le développement de l’entreprise ONF et
non plus celui de la forêt de Tronçais elle-même.
1 – L’ONF présente, d’un côté, l’évolution des classes d’âge en hectares
et de l’autre, celle des récoltes constatées en mètres cube. C’est déroutant.
Ne serait-il pas plus clair d’indiquer les m3 sur pied présents ou futurs en
même temps que les surfaces ? Le tout accompagné du volume unitaire
moyen sur pied présumé ? L’inventaire très précis des arbres que tient
l’ONF doit lui permettre de répondre positivement.
2 - Si l’on prévoit de mener la forêt à 250 ans, il s’agit de former du
capital sur pied, à partir du niveau 210 atteint : cela suppose des récoltes de
bois de 30 000 m3 par an, au lieu des 50 000 ou 60 000 déjà pratiqués
depuis plusieurs années, et qui restent à compenser.
3 - L’argument consistant à augmenter la récolte en proportion de l’accroissement
de la croissance végétale plus rapide, due à l’évolution du
climat, nous paraît simplificateur et erroné. La partie utile, le bois de
coeur, constituée pendant les neuf premiers dixièmes des 200 ans de la vie
du chêne, n’a rien à voir avec les années atteintes par les excès climatiques.
On ne peut justifier cette simpliste et fausse assertion, qui ne vient
qu’à l’appui argumentaire de la décapitalisation forestière.
4 - Pour cause de moindre fertilité, 30 % de la superficie Tronçais est
ramené à une exploitabilité de 200 ans. C’est d’une importance à souligner,
est-elle justifiable ?
5 - Le maintien d’îlots de sénescence à 300 ans est de l’ordre du témoignage.
Il exprime une sorte de regret auquel la SAFT adhère pleinement.
6 - Comment comprendre l’emploi du vocable développement durable,
alors que l’on réduit la durée du cycle, que l’on diminue le stock de CO2
sur pied (où en est la taxe carbone), que l’avantage économique n’est pas
certain, que l’avantage environnemental est négatif, et l’avantage social
également puisqu’il y aura moins de forestiers dans une forêt simplifiée et
téléguidée ?
7 - Une question de synthèse n’a pas reçu de réponse précise de l’ONF
à ce jour. Nous demandons une norme de sylviculture propre à Tronçais,
qui organise réellement les modalités concrètes du rattrapage pour le
maintien à 250 ans de l’exploitabilité, conformément aux aménagements
et au statut unique de Tronçais, qui ne peut, honnêtement, mériter le statut
de Forêt Patrimoine qu’à cette condition.
8 - Pour couvrir les besoins financiers de l’entreprise ONF, dont nous
aimerions accessoirement connaître les perspectives de développement.
Ne vaudrait-il pas mieux recourir à l’emprunt plutôt que décapitaliser
Tronçais et dilapider ce patrimoine irremplaçable ?
Le comité de la SAFT